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NOUVELLES TECHNOLOGIES ET INTEGRATION DES HANDICAPES PHYSIQUES

Prof. dr. E. Broekaert, M. Farricelli, V. Sorée, UG


L'objectif de l'étude était d'examiner dans quelle mesure les personnes souffrant d'un handicap physique sont informées des auxiliaires technologiques et les besoins existants à l'heure actuelle dans ce domaine. voir quels facteurs jouent un rôle lors de l'application de ces auxiliaires et comment et dans quelle mesure ceux- ci contribue à l'intégration sociale.

En se basant sur les données de 1990 (Wood T. & Singh Sandhu J. '90), on estime que le nombre de personnes souffrant d'un handicap dans les 12 pays de la CE et en Suede se situe entre 36,43 et 48,5 millions (c.- à- d. 11,3 à 15,1%). Le groupe le plus important est constitué des personnes souffrant d'un handicap physique: 7,7% de la population totale, soit 24,8 millions.

En 1990, la population belge s'élevait à 9.800.000 individus, dont 1.090.000 (c.- à- d. 11,1%) étaient atteints d'un handicap. Parmi ces personnes figurent 405.000 handicapés physiques (c.- à- d. 4,1% de l'ensemble de la population belge).

Nous nous sommes limités aux personnes souffrant d'un handicap moteur, quelle qu'en ait été l'origine, et s'accompagnant ou non d'un handicap complémentaire (visuel, auditif, troubles du langage, épilepsie, etc.). Le seul handicap complémentaire que nous ayons exclu est le handicap mental. La raison de cette exclusion réside dans le fait que le même questionnaire devait pouvoir être rempli par toutes les personnes interrogées.

On peut considérer que les auxiliaires technologiques constituent des moyens de réhabilitation des fonctions, une action donnée étant assistée (orthèse), ou remplacée (prothèse). Si ces auxiliaires créent des chances égales et offrent l'accès à la connaissance générale, ils contribueront effectivement à l'intégration et permettront de surmonter des obstacles, à condition qu'ils soient à la disposition de tous. Sinon, ils constituent un moyen supplémentaire et subtil pour exclure davantage encore et directement les personnes souffrant d'un handicap. (B. Tauer et B. Meinhard- Schiebel. OCG '89).

Les 'Consumer Products Design Guidelines' (E.- U.) distinguent 4 niveaux d'accessibilité (Gregg C. et K.R. Vanderheiden, RESNA '91).

Le premier niveau comprend les appareils directement accessibles. Le niveau suivant comprend les appareils accessibles par l'intermédiaire d'options ou d'accessoires standards. Le troisième niveau comprend les appareils compatibles avec un auxiliaire spécial. Enfin, les produits peuvent être conçus d'une manière telle que les adaptations spéciales ne posent aucune difficulté.

Les auxiliaires conçus spécialement et qui prévoient des possibilités d'adaptation individuelle constituent une catégorie distincte. Ils se démarquent du marché courant et ne s'obtiennent que par l'intermédiaire d'un circuit spécialisé.

Des points de vue économique, ergonomique et social, il est indiqué que les appareils technologiques soient produits avec une vaste gamme de moyens d'adaptation. Ce point de vue est rendu par le terme "Universal Design" (Gregg C. et K.R. Vanderheiden, RESNA '91) que l'on retrouve dans les principes de travail du TIDE (Technology for the Socio- Economic Integration of Disabled and Elderly People), une initiative de la Commission de la Communauté Européenne. Ces actions ont des retombées sur la technologie en général. C'est dans un cadre international que la problématique s'inscrit le mieux (HELIOS: Handicapped People in the European Community Living Independently in an Open Society).

Des auxiliaires existent pour: la mobilité, les adaptations du logement et du mobilier; la cuisson et la prise des repas, l'hygiène personnelle, la communication (parler, écrire, lire, téléphoner), des adaptations aux ordinateurs et logiciels offrant des alternatives pour l'entrée et la saisie de données, le sport, les hobbies, les jouets, la commande d'appareils et la manipulation d'objets (thesaurus des auxiliaires, copyright VLICHT vzw- asbl).

Si les différents aspects du processus de production faisaient l'objet d'une réflexion et d'une concertation, le produit qui en résulterait serait parfaitement adapté à l'utilisateur qui pourrait dès lors utiliser son potentiel de manière optimale. Nous constatons cependant - en nous fondant essentiellement sur ce qu'affirment Bangma et De Vlieger, Moulijn, la 'Stichting Warenonderzoek Gehandicapten' (Fondation pour l'étude des produits destinés aux handicapés) et le Groupe de travail 'Misnoegd Model' - qu'en Flandre, cette entreprise ne se déroule pas de manière optimale.

C'est ainsi que dans le domaine des études de marché et du développement de produits, il est rarement question d'étude scientifique. Et si étude scientifique il y a, c'est la concertation qui est pour ainsi dire totalement absente. Le contrôle sur la qualité et l'utilité n'est ni réglementé ni normalisé. La nomenclature ne comporte aucun critère de qualité, d'utilité et de fonctionnalité, elle se limite aux normes techniques du produit.

L'allocation de subsides et la fourniture des appareils s'effectue sur base de la nomenclature; or celle- ci ne suit que péniblement l'évolution du produit, elle freine et limite son développement sur le marché.

L'information sur le produit, les conseils et l'assistance le concernant dépendent de plusieurs instances et sont souvent insuffisants et/ou incorrects. La participation des utilisateurs est insuffisante. Très souvent, les assistants ne tiennent pas compte de l'apport et de la compétence de ces personnes, mais d'autre part, ces dernières sont également en faute. Elles devraient avoir la maturité nécessaire et s'imposer de manière à agir comme un consommateur autonome.


Conclusions

1. Notoriété, usage et nécessité des auxiliaires.

Les auxiliaires les plus connus sont ceux qui permettent la mobilité (essentiellement les chaises roulantes). L'ordinateur se trouve en seconde place. Les auxiliaires les moins connus sont ceux qui ont trait à la lecture et surtout aux fonctions de cuisson/prise des repas (cfr le fait que peu de personnes interrogées vivent de manière autonome).

Les écoles et les établissements du fonds 81 constituent les principaux canaux d'information pour le groupe comportant la famille/les connaissances/les amis. Les personnes qui résident en permanence dans un établissement sont mieux informées des auxiliaires, les utilisent et en ont plus que celles qui séjournent parfois ou en permanence à la maison. Les centres d'information sont mal connus.

En général, les personnes interrogées estiment qu'elles sont mal informées. Les interviews révèlent que 25% seulement connaissent les auxiliaires disponibles, leur fonction et leur fonctionnement. Selon la littérature et les témoins privilégiés, cette méconnaissance n'est pas tellement due à un manque d'information qu'à la trop grande fragmentation de celle- ci.

Quatre sur cinq personnes interrogées utilisent des auxiliaires et les plus utilisés sont ceux destinés aux déplacements. Les adultes ont davantage recours aux auxiliaires que les enfants.

Bien que les adultes ne représentent que 30% de l'échantillonnage total, ils utilisent 48% des auxiliaires.

Toutefois, l'échantillonnage contient proportionnellement plus d'enfants souffrant d'un handicap léger et plus d'adultes souffrant d'un handicap grave. Pour les adultes, la règle suivante est valable: plus le handicap est grave, plus on utilise d'auxiliaires.

Pour des raisons qui sont souvent d'ordre financier, 36% ne disposent pas des auxiliaires nécessaires, 89% ont reçu une aide financière, tandis que 58% n'ont reçu aucune aide financière pour l'acquisition de 1 ou plusieurs auxiliaires (chevauchements). La plupart des personnes interrogées disposent des auxiliaires les plus élémentaires et indispensables (déplacements, communication), mais le plus grand besoin concerne les soit- disant "produits de luxe" dont la fonction est généralement assurée par l'assistance. 20% mentionnent des appareils non technologiques.

2. Facteurs jouant un rôle important au niveau de l'utilisation des auxiliaires.

88% utilisent au minimum 1 auxiliaire acquis par des moyens propres. Il y a toutefois lieu de relativiser cette information étant donné que les auxiliaires achetés par le Fonds 81 restent en propriété.

La diversité des sociétés qui vendent ces auxiliaires est énorme. Celle qui obtient les meilleurs résultats est l'une des sociétés figurant dans la nomenclature de l'INAMI.

Très souvent, l'assistance pendant et après la vente d'un auxiliaire laisse à désirer. Si assistance il y a, elle se limite très souvent à une explication sommaire de la part du vendeur ou de l'école ou de l'établissement. 10% seulement ont bénéficié d'une démonstration, 3% ont pu faire un essai et 5% ont pu utiliser l'appareil pendant une période d'essai. En cas de défaillance, les personnes concernées s'adressent surtout à l'entourage immédiat (école, établissement, parents,...) étant donné que les sociétés sont parfois trop chères et que les délais d'attente sont trop longs. La plupart des personnes ne reçoivent pas d'appareil de remplacement sauf si elles séjournent dans un établissement.

L'utilisation d'auxiliaires fabriqués à l'étranger mais achetés en Belgique est considérable. D'une part, la catégorie des 'auxiliaires étrangers' comprend le nombre le plus élevé d'appareils technologiques (déplacements, communication, commande de l'environnement et lecture).

D'autre part, les auxiliaires belges les plus utilisés sont de type non technologique (hygiène personnelle, cuisson / prise des repas / activités ménagères).

La plupart des auxiliaires sont trop chers et les subsides font défaut. La plupart des auxiliaires de déplacement sont cependant partiellement remboursés. Dans la plupart des cas, les procédures de demande et de remboursement sont rigides et prennent beaucoup de temps. Les 3 principales instances de subvention sont, en ordre décroissant, l'INAMI, le Fonds national et le Fonds 81. Un peu plus de 1/3 des auxiliaires sont remboursés intégralement. Le Fonds 81 rembourse intégralement le pourcentage le plus élevé; l'INAMI et le Fonds national suivent dans l'ordre.

Le nombre de personnes informées des procédures de subvention est très faible.

La plupart des personnes interrogées sont satisfaites de la plupart des auxiliaires, mais il s'agit en général d'auxiliaires non technologiques. L'insatisfaction concerne essentiellement les trop nombreuses défaillances, le manque de confort, la mauvaise qualité et le manque d'adaptation aux besoins.

L'insatisfaction relativement élevée concernant certaines catégories d'auxiliaires (surtout les auxiliaires de déplacement) s'explique également par le monopole de certaines sociétés reprises dans la nomenclature. "L'institutionnalisation du marché signifie non seulement la stabilité et une minimalisation du mauvais fonctionnement des auxiliaires mais également le conservatisme à l'égard de l'acceptation de nouvelles technologies." (rapport CCE 1986).

La fonctionnalité et la convivialité sont plus importantes que l'esthétique. Selon les témoins privilégiés, la convivialité constitue un ensemble dans lequel interviennent la qualité, la fonctionnalité, l'esthétique et le prix. Si l'on veut obtenir à la fois de la qualité et un objet esthétique, le prix s'en ressent. Les appareils dont la commande est difficile ou qui manquent de confort sont souvent rangés définitivement dans le placard.

La plupart des personnes interrogées ignorent le prix exact de ces auxiliaires.

La plupart des personnes interrogées savent peu de choses en ce qui concerne le processus de production des auxiliaires.

Le nombre d'adaptations est relativement bas. L'intervention financière est plus difficile encore que pour les auxiliaires. Les instances de subvention sont, en ordre décroissant, le Fonds 81, l'INAMI et le Fonds National. 21% ont encore besoin d'adaptations.

3. Intégration.

L'intégration est une notion difficile et très délicate. L'idée en soi et l'expérience qu'on en fait peuvent même s'opposer à la perception par l'entourage. C'est ce qui explique qu'il est difficile de rendre l'intégration opérationnelle.

La plupart des personnes interrogées sont moyennement à bien intégrées. Ceci constitue une image raisonnablement positive, mais la mesure fut grossière et il y a lieu de tenir compte des réponses souhaitables du point de vue social.

L'utilisation d'auxiliaires favorise l'intégration, mais nous ne pouvons pas sous- estimer l'influence d'autres facteurs. C'est ainsi qu'une grande majorité a réellement besoin d'assistance et que celle- ci leur est fournie par des personnes de leur entourage direct. De plus, d'autres facteurs jouent également un rôle: l'accessibilité aux immeubles, aux transports publics, à l'infrastructure publique, l'attitude de la société, la barrière financière, la publication d'information correcte via les médias et la participation aux décisions.

Les personnes interrogées qui vivent à la maison et ou qui habitent de façon autonome, sont quelque peu mieux intégrées que les autres. Ceci est cependant uniquement valable en ce qui concerne la catégorie d'intégration la plus élevée.

En ce qui concerne les adultes, la règle suivante est d'application: plus le handicap est léger, mieux la personne est intégrée. Ceci n'est pas valable pour les enfants.

Recommandations

Les auxiliaires technologiques ne sont pas considérés comme un moyen de réhabiliter les fonctions mais comme l'un des moyens favorisant l'intégration sociale.

L'existence en soi de ces auxiliaires est insuffisante. Ce sont en effet des facteurs du processus de production qui déterminent quels auxiliaires seront développés, quels critères de qualité/fonctionnalité seront appliqués, dans quelle mesure les auxiliaires seront commercialisés et proposés, et quel sera le rapport qualité/prix.

En ce qui concerne les études de marché et le développement de produits, un important rôle financier et actif de médiateur est réservé aux autorités qui inciteront les concepteurs et les chercheurs à utiliser de nouvelles technologies.

Les organismes de subvention et d'étude doivent se concerter et coordonner leurs activités pour deux raisons. Premièrement, il faut éviter de développer des appareils qui n'ont pas de débouchés. Deuxièmement, des accords précis pourront éviter que certaines personnes ne tombent dans les mailles du filet en ce qui concerne les subventions. La création d'un organe de concertation composé de producteurs, de concepteurs et d'utilisateurs contribuera à l'étude et à la promotion d'une standardisation aussi vaste que possible des appareils technologiques.

La standardisation doit être recherchée à trois niveaux différents. C'est dès la phase de conception et de production qu'il y a lieu de tenir compte des problèmes sur lesquels l'organe de concertation a attiré l'attention. Ensuite, les appareils standards doivent pouvoir être raccordés à des systèmes d'entrée et de sortie alternatifs. Enfin, les appareils spéciaux doivent pouvoir être adaptés facilement aux besoins individuels.

En ce qui concerne le contrôle de la qualité et de l'utilité, la standardisation et la publication de résultats de tests et les exigences en matière de qualité et d'utilité sont susceptibles d'élargir le marché de par l'effort d'obtenir des auxiliaires qui soient meilleurs et moins chers. Un groupe pilote composé d'utilisateurs et de techniciens détectent les problèmes lors de l'utilisation de l'appareil eu égard aux exigences de qualité et d'utilité. Etant donné que ceci dépend étroitement de ce qui précède, les deux organes seront obligés de faire preuve de coordination et de concertation. Imposer ces exigences aux sociétés constitue une tâche dont l'exécution sera confiée de préférence aux autorités et aux instances de subvention.

En ce qui concerne les subventions et la fourniture des auxiliaires, il y aura lieu de faire figurer dans la nomenclature les normes de qualité et d'utilité établies par le groupe pilote. Il y aurait également lieu d'examiner la possibilité d'y faire aussi figurer les auxiliaires de réserve.

D'une part, une période d'essai accordée par les sociétés et les centres d'essai garantirait l'achat des auxiliaires les plus appropriés. D'autre part, ceci peut être réalisé en grande partie dans la mesure où les normes de qualité et d'utilité sont respectées et dans la mesure où il y a moyen de faire appel à des études sérieuses concernant l'information et la qualité.

Il faudrait également examiner la possibilité de créer un système de prêt (GMD) en suivant l'exemple des Pays- Bas. Il semble en effet que des normes strictes de qualité, d'utilité et de standardisation favorisent et facilitent la remise en circuit des auxiliaires.

Chaque demande doit être examinée individuellement en tenant compte du ou des contexte(s) dans le(s)quel(s) les auxiliaires seront utilisés.

En ce qui concerne l'information du produit, les centres d'information existants doivent faire l'objet d'une meilleure publicité. Celle- ci peut être assurée par les écoles (E.S. et E.I.), par diverses institutions, mutualités, associations rassemblant des personnes handicapées, travailleurs sur le terrain, instances de subvention, dépliants adressés aux utilisateurs, et par les médias.

Les centres (régionaux) assurent l'information du produit, conseillent et prêtent leur assistance en ce qui concerne les possibilités de mise à l'épreuve. On peut sur ce point examiner dans quelle mesure les instances existantes sont équipées pour ce faire. Les conseils et l'examen des besoins ne peuvent pas se limiter aux choses qu'une personne n'est pas capable de faire. Il faut également se pencher sur ce que cette personne est effectivement capable de faire avec certains auxiliaires et par rapport à son environnement. A cet égard, on peut consulter les universités sur les éventuelles échelles d'évaluation alternatives.

Les banques de données et les catalogues constituent une autre source d'information. Les banques de données doivent décrire les caractéristiques techniques, qualitatives et d'emploi en utilisant l'expérience des utilisateurs. Les catalogues peuvent constituer une excellente source d'information surtout pour les utilisateurs. Ils sont toutefois moins fiables eu égard aux mises à jour. Un emploi plus généralisé du Minitel comme en France peut également être une solution.

La participation des utilisateurs ne peut pas être un vain mot si l'on veut réellement promouvoir l'intégration sociale dans les différents domaines abordés. La connaissance qui découle de l'expérience constitue en effet un complément indispensable et précieux des connaissances médicales et techniques.

Pour terminer, nous soulignons que les différents domaines abordés doivent être considérés dans leur contexte européen (TIDE, HELIOS et les "National Data Collection and Coordination Centres, ...). Nos voisins peuvent nous aider et nous apprendre comment ils font, quels furent leurs réussites et leurs échecs, quels furent leurs problèmes et quelles solutions leur ont permis d'y remédier.


Publication:

Nieuwe technologieën en integratie van fysiek gehandicapten.
Prof. dr. E. Broekaert, RUG, 1994

épuisé