Avertissement


FINANCEMENT PROSPECTIF DES HOPITAUX BELGES

Prof. dr. M. Marchand, Prof. dr. M.C. Closon, Prof. dr. F. H. Roger France, UCL


RESUME

I. Les systèmes de financement en fonction de la structure des pathologies et leurs conséquences sur l'utilisation et la qualité des soins: les orientations générales des réformes visant à la maîtrise des coûts hospitaliers dans les pays de l'OCDE.

Le système de financement prospectif mis en place pour les patients Medicare aux Etats- Unis est présenté de façon détaillée. Ce système est basé sur la répartition des patients en différents groupes homogènes de malades, ceci en fonction de leur pathologie. Le montant alloué à l'hôpital pour un patient appartenant à un DRG est déterminé par le coût moyen des patients de ce DRG estimé à partir de données collectées à travers l'ensemble des Etats- Unis. L'ensemble des éléments caractérisant ce système est décrit dans une première partie.

La deuxième partie de cette synthèse traite de l'impact de ce système sur le comportement et la situation financière des hôpitaux. De nombreuses études empiriques ont été consacrées à ce sujet et elles ont notamment porté sur l'utilisation des ressources, le report de certaines dépenses vers d'autres agents et la qualité des soins. Les principales conclusions de ces études sont présentées.

La troisième partie, quant à elle, donne un aperçu des principaux modèles et résultats théoriques développés dans la littérature.


II. Modélisation du secteur hospitalier: quel système de financement des hôpitaux en fonction des objectifs du Ministère de la Santé Publique et du comportement des hôpitaux ?

Un modèle formalisé a été élaboré afin de caractériser la formule de financement optimale en fonction des objectifs de l'autorité de tutelle. Ces objectifs sont de trois ordres: l'efficacité dans l'utilisation des ressources, la qualité des soins et l'équité dans la répartition des ressources. Le modèle développé tient explicitement compte du fait que la lourdeur des pathologies traitées dans un hôpital ne peut être estimée avec une totale précision. Il en résulte une asymétrie d'information entre les hôpitaux et l'autorité de tutelle qui ne peut par ailleurs pas non plus observer l'effort fourni par l'hôpital pour réduire ses coûts. La formule de financement est supposée linéaire et composée d'une partie fixe en fonction des pathologies traitées dans l'hôpital et d'une partie variable en fonction des coûts réellement supportés par l'hôpital. Le but de la Modélisation est de déterminer de façon optimale cette partie variable, ceci en fonction de divers paramètres. Pour ce faire, il faut d'abord déterminer comment les hôpitaux se comportent en matière de choix de qualité et d'effort de réduction des coûts en réponse à la formule de financement choisie.

Plusieurs parties sont distinguées dans la Modélisation qui correspondent chacune à des hypothèses différentes sur le comportement des hôpitaux.

Une première partie considère que la demande s'adressant à l'hôpital est stable (fixe). Ce cadre relativement simple nous a permis de mettre en évidence l'arbitrage intervenant dans le choix de la formule de financement à savoir entre les différents objectifs: l'efficacité, l'équité et la qualité.

Il nous montre également comment la sensibilité du comportement des hôpitaux au caractère plus ou moins forfaitaire du financement doit affecter le choix de l'autorité de tutelle.

Une deuxième partie vise à étendre le modèle au cas où la demande s'adressant à un hôpital est endogène et fonction de la qualité. Puisque le mode de financement affecte ce choix de qualité, il entraîne par la même occasion une modification des parts de marché. Dans ce contexte, le choix de la formule de financement fait apparaître des éléments supplémentaires par rapport au premier modèle plus simple. Ces éléments tiennent compte des effets favorables ou défavorables des déplacements de patients d'un hôpital à l'autre.

Une troisième partie est consacrée à l'étude d'un risque souvent associé à l'hypothèse d'un financement prospectif: le risque d'écrémage des patients par hôpital lorsque le forfait reçu ne reflète qu'imparfaitement les besoins financiers requis pour leur traitement. L'effet de la présence de ce risque sur la formule de financement apparaît à nouveau à travers divers termes supplémentaires par rapport au premier modèle. Ces termes reflètent principalement le coût pour le patient d'être rejeté d'un hôpital (coût psychologique, financier mais aussi une possible détérioration de sa santé) ainsi que l'intérêt ou non pour le régulateur d'encourager des transferts de patients d'un hôpital à l'autre. Il est également tenu compte de ce que, si un hôpital ne sélectionne pas, il se retrouve rapidement avec tous les patients les plus sévères et les plus coûteux. Le choix de la formule optimale par le régulateur tient compte de cette forme d'inéquité pouvant apparaître entre hôpitaux.


III. Estimation des besoins financiers des hôpitaux

III.1. Création d'une banque de données inter-hospitalières.

Pour que le système de financement soit équitable, il est indispensable de pouvoir estimer les dépenses requises pour les soins à prodiguer aux patients. La constitution d'une banque de données inter-hospitalières permettant de développer des indicateurs de besoins et de performances dans l'utilisation des ressources et dans la qualité des soins a été une tâche essentielle de cette recherche.

Cette partie du rapport décrit la constitution de cette base de données qui rassemble par séjour hospitalier les informations du Résumé Clinique Minimum (RCM) telles que fournies par les hôpitaux au Ministère de la Santé Publique et les informations d'un Résumé Financier Minimum (RFM) mis au point au CIES. Le RCM permet d'appréhender la structure des pathologies grâce aux codes de diagnostics et d'interventions qui y figurent, tandis que le RFM permet de mesurer l'utilisation des ressources associées à ces pathologies.

Les étapes principales de traitement sont le passage des RCM et des RFM à un programme de contrôle respectif, la concaténation des RCM par services dans le cas des séjours multi-RCM en un seul RCM pour le séjour, le passage des diagnostics et interventions du séjour à travers un logiciel qui regroupe les patients en groupes homogènes de pathologies (DRG), la fusion des informations de RCM avec celle de RFM et les vérifications de cohérences associées à cette fusion, la création de variables agrégées pertinentes pour les analyses, le calcul, sur l'ensemble des données, des limites à partir desquelles un séjour sera considéré comme extrêmement grand ou petit en fonction de sa durée et du niveau des dépenses (outliers) , puis enfin la séparation des variables en deux ensembles, variables principales formant le centre de la base de données pour la plupart des analyses et l'ensemble de toutes les variables détaillées devant rester accessibles pour des études précises.

Le rapport intermédiaire de 1994 contenait une première version de ce chapitre portant sur le traitement de données hospitalières fournies par un groupe d'hôpitaux volontaires pour la période de 1989 à 1991. La mise à jour de ce texte ajoute la description de l'amélioration de la chaîne de traitement des données de RCM et de RFM, et leur validation réciproque lors de la constitution de la banque de données 1992 et 1993.

III.2. Mise au point d'indicateurs de performance dans l'utilisation des ressources

Les premiers feed- back aux hôpitaux fournissaient la possibilité de positionner l'hôpital et ses activités par rapport à un groupe d'hôpitaux de référence, sur base de moyennes standardisées pour la structure des pathologies d'une série de dépenses. Cet indicateur peut toutefois cacher une grande dispersion autour des valeurs moyennes. C'est pourquoi un autre type d'indicateur de performance a été développé pour répondre aux objectifs suivants: permettre également le positionnent relatif d'un hôpital au sein d'un groupe de référence, mais par rapport à l'utilisation la plus efficace des ressources observée dans l'échantillon plutôt que par rapport à une utilisation moyenne.

Une technique d'estimation de frontière de production paramétrique a été utilisée pour la mise au point d'un premier jeu d'indicateurs d'efficacité de ce type dans l'utilisation des ressources.

L'originalité des données dont nous disposons réside en le fait que ce ne sont pas des données agrégées ou moyennes par hôpital, mais des données par séjour hospitalier sur toute une période.

En ce sens, nous disposons de données de panel un peu particulières, observations répétées dans le temps de l'activité des hôpitaux, en l'occurrence tous leurs séjours hospitaliers au fil du temps.

Nous avons estimé la frontière associée à l'utilisation des ressources que sont les honoraires à l'aide du nombre de journées facturées et de l'âge du patient, en contrôlant pour les groupes de pathologies, ainsi que pour le nombre de systèmes atteints, l'entrée en urgence ou non, et le passage aux soins intensifs comme proxies de la sévérité des cas. Une frontière a été estimée par spécialité chirurgicale ou médicale afin de capter au mieux la spécificité de chacune de ces activités hospitalières.

Une fois la frontière estimée, les hôpitaux sont positionnés par rapport à celle- ci: à niveau d'output donné, l'hôpital qui utilise le moins de ressources est le plus efficace et se trouve par définition sur la frontière tandis que tous les autres sont plus ou moins inefficaces selon le degré de "gaspillage" observé dans leur utilisation des ressources.

Deux indicateurs d'efficacité relative inter-hospitalière furent ensuite mis au point: un indicateur de l'efficacité globale de l'hôpital, et un indicateur du profil de la dispersion du niveau d'efficacité de l'hôpital selon les spécialités.

III.3. Première analyse comparative de la durée de séjour, tenant compte de la structure des pathologies, et intégration des résultats dans le mode de financement des journées d'hospitalisation

Le développement d'indicateurs de besoins et de performance en fonction de la structure des pathologies a trouvé une première application dans le financement du prix de journée des hôpitaux à partir de 1994.

En effet, des incitants financiers ont été accordés aux hôpitaux qui, à structure de pathologie donnée, avaient une durée de séjour moyenne de plus de 2 % inférieure à celle observée dans les autres hôpitaux. A l'inverse, les hôpitaux non performants ont été pénalisés.

La méthodologie appliquée est décrite ainsi que les recherches à mener pour permettre d'identifier de manière plus fine la part des écarts observés qui sont justifiés pour des raisons médicales et sociales.

III.4. La forfaitarisation des dépenses pharmaceutiques hospitalières

Pour inciter les hôpitaux à gérer efficacement l'utilisation des médicaments, il est important de développer des indicateurs de besoins et de performance.

Sur base de la banque de données RCM- RFM, une analyse de l'impact de la structure des pathologies et autres variables comprises dans le RCM telles que sévérité des cas, âge, urgence, type d'hôpital, a été réalisée.

Elle a montré que ces variables expliquaient un pourcentage important de la variance des dépenses pharmaceutiques par séjour. Cette étude a également mis en évidence les conditions à respecter et les points à approfondir pour permettre qu'une forfaitairisation des dépenses pharmaceutiques ne pénalisent injustement certains hôpitaux ou ne provoquent le rejet de certains types de patients: flexibilité et progressivité dans l'application des forfaits, financement spécial pour les outliers et l'inclusion du progrès technique, affinement dans la prise en compte des pathologies à dépenses pharmaceutiques très variables (pathologies à complications majeures, cancers...).

Une étude spécifique a été menée sur trois catégories de médicaments pour lesquels il existe une suspicion d'utilisation non appropriée: les antibiotiques, les expanseurs plasmatiques, et l'alimentation parentérale. Cette étude a montré qu'il existe une très grande variabilité inter-hospitalière dans l'utilisation de ces médicaments, à pathologie donnée. La mise en évidence de tels écarts constitue le premier pas d'une démarche d'évaluation de leur utilisation.


IV. Transmission des informations structurées aux acteurs

IV.1. Les feed-back

La définition d'une politique de santé et, en particulier, du financement prospectif des hôpitaux par pathologie, nécessite un système d'information basé sur un ensemble d'indicateurs de besoins et de performances dans l'utilisation des ressources. Il est également indispensable que les hôpitaux puissent disposer à leur tour de ces informations comme un outil de gestion interne tant au niveau médical qu'à celui de la gestion de l'utilisation des ressources. En effet, cet outil leur permet à la fois d'évaluer leur performance et détecter dans quel domaine accroître leur efficacité, mais aussi de pouvoir identifier et défendre en quoi leurs besoins sont justifiés et mal pris en considération par le système de financement.

Dans cette optique, un jeu de feed- back destiné aux gestionnaires et médecins d'hôpitaux fut élaboré progressivement. Il s'agit à chaque fois d'une démarche comparative des données de l'hôpital par rapport aux données d'un groupe d'hôpitaux de référence, tant dans la description des pathologies et d'autres variables du RCM (telles que par exemple: l'âge, l'urgence, le passage aux soins intensifs), que dans l'utilisation des ressources liées à ces variables.

Chaque feed- back a été mis au point en fonction des acteurs auxquels il s'adressait:

Un feed- back général, descriptif des caractéristiques de l'activité de l'hôpital, comparées à celles des autres hôpitaux est plus particulièrement destiné au gestionnaire et au médecin directeur.

Un feed- back de synthèse (basé sur le feed- back général), destiné à fournir aux hôpitaux qui ont transmis leurs données sur plusieurs années une vision synthétique de l'évolution des activités de l'hôpital et de leurs caractéristiques.

Un feed- back de standardisation général pour le médecin directeur et le gestionnaire, et par spécialités et DRG's, pour les responsables par spécialités, confronte la moyenne observée de l'hôpital à sa moyenne standardisée pour la pathologie d'une série de variables du RCM et de dépenses.

Un feed- back de statistiques donne la distribution de la durée de séjour et des dépenses dans chaque groupe de pathologies de l'hôpital et pour le groupe de référence.

Un feed- back fournit par groupe de pathologies les limites inférieure et supérieure d'attribution d'un séjour à une catégorie d'outlier en durée de séjour ou en dépenses.

En parallèle à ces feed- back sur support papier, des feed- back sous forme de fichiers d'agrégats informatisés et remis sur disquette aux hôpitaux furent élaborés. En effet, ce type de support permet d'une part de fournir un volume d'informations plus détaillées, non maîtrisable sur papier, telles que des feed- back par groupe de pathologies, et d'autre part donne la possibilité au gestionnaire et au médecin d'hôpital d'effectuer des traitements informatisés et des analyses internes de sous- parties des données en fonction de leurs besoins.

Ce type de feed- back sur support magnétique laisse toutefois à chaque utilisateur final le soin d'implémenter comme il le souhaite ces fichiers dans son système informatique et de les exploiter avec le logiciel de son choix. A la demande de plusieurs hôpitaux de la base, nous avons développé avec l'informaticien du Centre d'Informatique Médicale de l'UCL une maquette informatique utilisant un logiciel d'interrogation de données sur ces fichiers d'agrégats et permettant également le retour aux données de base, au niveau du séjour hospitalier lui- même.

IV.2. Impact de la diffusion des feed- back sur l'amorce d'une démarche d'évaluation et la modification des pratiques: expérience menée dans des services hospitaliers de pneumologie.

Une collaboration étroite avec les hôpitaux a permis de mettre en évidence le fait que les informations contenues dans les feed- back étaient essentiellement utilisées, quand elles étaient utilisées, au niveau central de l'hôpital et la difficulté en pratique pour les médecins de s'approprier leur contenu.

Une méthodologie a été développée pour tenter de faire passer l'information chez les acteurs qui sont au centre de la décision dans les processus de soin, à savoir les médecins. Elle a mis en évidence l'importance de relais, dans l'hôpital, d'une formation à la compréhension des feed- back et de la nécessité d'une concentration sur les pathologies les plus fréquentes et les mieux définies.

Elle a été appliquée à une spécialité, la pneumologie, et au sein de celle- ci à deux groupes de pathologies: "bronchites et asthmes" et "pneumonies et pleurésies".

Cette expérience a mis en évidence à quel point les comparaisons inter-hospitalières des processus de soins par groupes de pathologies pouvaient induire un processus d'évaluation et inciter à une amélioration de l'efficacité dans la prise en charge des patients et dans la qualité des soins.


Publication:

Financement prospectif des hôpitaux belges.
Prof. dr. M. MARCHAND, Prof. dr. F. ROGER, UCL, 1996