PERFORMANCE DES ENTREPRISES PUBLIQUESProf. dr. B. Thiry, Prof. dr. P. Pestieau, ULg
De novembre 1991 à mai 1994, le service d'Economie politique et de Microéconomie appliquée (Prof. B. Thiry), le Centre de Recherche en Economie Publique et de la Population (Prof. P. Pestieau) et la section belge du CIRIEC ont étudié la performance des entreprises et services publics dans cinq secteurs d'activité, à savoir les services de distribution d'eau, les services de distribution d'électricité, les services de collecte des ordures ménagères l'enseignement secondaire et les services d'accueil de la petite enfance.Avant de présenter les résultats obtenus, il importe de les resituer dans le cadre d'une réflexion générale sur les concepts, mesures et déterminants des performances des entreprises et services publics. La première chose qu'il convient évidemment de faire, c'est de définir clairement la notion de performance dans le cas d'une entreprise publique. Ensuite, nous examinerons les raisons de l'intérêt grandissant des milieux politiques, sociaux et scientifiques pour l'évaluation de la performance économique des entreprises et services publics ainsi que certains déterminants de cette performance. Enfin, nous présenterons les résultats de nos cinq études sectorielles.
I. Définition et mesure de la performance de l'entreprise publiqueLa performance d'une entreprise se définit comme le degré de réalisation des objectifs qui lui sont assignés par ses propriétaires. Les objectifs des propriétaires des entreprises privées se ramènent dans une large mesure à un objectif unique: la maximisation du profit ou plus exactement la maximisation de la valeur actuelle nette de la firme. Même si les entreprises privées ne poursuivent pas réellement cet objectif, il existe dans la littérature économique de bons arguments pour soutenir la thèse qu'en tout état de cause, ce sont les entreprises qui ont effectivement maximisé le profit qui subsistent dans le long terme. Il y aurait une sorte de processus de sélection naturelle proche de celui développé en biologie (cf. notamment Friedman et plus récemment l'ouvrage de Jacquemin).
Cet objectif, que nous pourrions qualifier "de premier rang", implique au niveau de la gestion de l'entreprise privée divers autres objectifs que nous qualifierons "de second rang"; parmi ces derniers, mentionnons le choix des quantités (voire des prix) des facteurs de façon à produire au moindre coût et le choix des quantités (voire des prix) des outputs de façon à égaliser le coût marginal et la recette marginale.
En ce qui concerne les entreprises publiques, l'identification des objectifs des propriétaires est une tâche beaucoup plus complexe. Les pouvoirs publics utilisent leurs entreprises pour réaliser des objectifs multiples, parfois contradictoires, que nous pouvons classer en quatre grandes catégories en adaptant quelque peu la liste devenue classique proposée par R. Rees.
Les entreprises publiques poursuivent tout d'abord un objectif purement allocatif qui se réfère à l'efficacité dans l'allocation des ressources. Cet objectif recouvre en fait différents aspects: l'efficacité technique qui consiste en la capacité de l'entreprise de produire son output avec le minimum de ressources; l'efficacité- coût qui fait référence à sa capacité de produire l'output au moindre coût; et enfin l'efficacité allocative proprement dite qui concerne la détermination du volume de production et du prix de l'output et qui requiert l'égalité du prix et du coût marginal de production. Notons que ces trois sous- objectifs ne constituent pas nécessairement des objectifs de premier rang, c'est- à- dire des objectifs édictés explicitement par les pouvoirs publics. Au contraire, certains d'entre eux peuvent apparaître comme des objectifs de second rang. Ainsi l'efficacité- coût qui peut être un objectif assigné explicitement à l'entreprise publique implique l'efficacité technique qui n'est vraisemblablement qu'un objectif de second rang.
Deuxième grande catégorie d'objectifs, les objectifs redistributifs. L'entreprise publique peut être amenée à offrir ses services et à pratiquer certains prix dans un souci de redistribution entre les individus, voire entre les régions.
L'entreprise publique peut également être amenée à contribuer à la politique macro-économique des pouvoirs publics (lutte contre l'inflation et le chômage, recherche de la croissance économique et de l'équilibre de la balance des paiements) ainsi qu'à la politique de défense et de promotion de la qualité de la vie (protection de l'environnement, aménagement de l'espace urbain, etc...).
Enfin les pouvoirs publics peuvent évidemment imposer à l'entreprise des objectifs financiers globaux de diverses natures (maximisation du profit ou minimisation des pertes,...).
Cette liste classique peut faire l'objet d'adaptations. Ainsi pourrait- on ajouter une cinquième catégorie: "l'effectivité", à savoir le degré d'adéquation entre l'offre de services et la demande potentielle dans ses aspects tant quantitatifs que qualitatifs. Ce critère recouvre en fait partiellement l'objectif d'efficacité allocative.
Les objectifs redistributifs et macro-économiques, voire "d'effectivité", pourraient quant à eux faire l'objet d'une reclassification distinguant les "missions de service public", les objectifs de politique conjoncturelle et les objectifs de politique industrielle et de développement économique. L'intérêt de cette reclassification est de mieux correspondre aux débats actuels de politique économique et sociale sur les missions des entreprises publiques. L'utilisation de celles- ci à des fins de politique conjoncturelle n'est plus à l'ordre du jour. L'est par contre une redéfinition des missions de service public, notamment dans le cadre d'une éventuelle "Charte européenne du service public". Enfin, l'utilisation des entreprises publiques à des fins de développement économique et de politique industrielle soulève des difficultés spécifiques.
Ces divers objectifs ne concernent évidemment pas tous les services et entreprises publics. Par ailleurs, ils sont parfois conflictuels. Ainsi, dans certains cas, l'entreprise doit assurer une rentabilité maximum et, pour des raisons sociales, vendre certains produits ou certains services à des prix inférieurs aux coûts. Le blocage des tarifs dans le cadre d'une politique anti- inflatoire et une politique d'embauche de main- d'oeuvre excessive visant à réduire le chômage peuvent contrecarrer la réalisation d'autres objectifs, en particulier les objectifs financiers et d'efficacité dans l'allocation des ressources.
Pour éviter tout malentendu à ce stade, nous ne pensons pas qu'il appartient à l'économiste en tant que tel de décider s'il est socialement et politiquement justifié de poursuivre tel ou tel objectif. L'économiste peut toutefois montrer les conséquences de la poursuite de certains objectifs et mettre en évidence qu'il existe parfois des moyens plus efficaces pour atteindre certains objectifs que l'utilisation des entreprises publiques.
Une définition claire et précise des objectifs que les pouvoirs publics assignent à leurs entreprises constitue donc un préalable à toute mesure correcte de la performance de la gestion et à toute perspective d'amélioration. Par ailleurs, pour déterminer le degré de réalisation des objectifs, il faut disposer d'instruments de mesure et que les objectifs soient en principe quantifiés. Malheureusement, certains objectifs ne sont que très difficilement spécifiables a priori et susceptibles d'être quantifiés.
On pourrait être tenté de rejeter toute idée de définition et de quantification des objectifs dans le cas particulièrement fréquent au niveau des entreprises publiques où la qualité du service offert est une dimension essentielle de la performance de l'entreprise. Ce rejet ne semble pas justifié. Il est en effet possible de dégager des indicateurs, certes imparfaits, de la qualité des services publics.
Si nous revenons aux quatre grandes catégories d'objectifs définis précédemment, c'est au niveau de la mesure de la réalisation des objectifs allocatifs que les progrès les plus importants ont été réalisés au cours des dernières années. Les concepts de productivité, de progrès technique, d'efficacité technique et d'efficacité- coût ont été précisés et les méthodes de mesure ont été améliorées (cf. notamment Thiry et Tulkens). Le secteur public a constitué un choix d'application privilégié de ces diverses mesures. C'est particulièrement vrai pour les mesures d'efficacité technique et d'efficacité- coût. Ce sont d'ailleurs ces mesures que nous avons appliquées aux cinq secteurs retenus (voir ci- après).
Les raisons de cette situation sont diverses. Il y a tout d'abord la difficulté voire l'impossibilité dans certains cas de mesurer d'autres aspects de la performance des entreprises publiques (en particulier la contribution à la politique macro-économique et redistributive de l'Etat), et par conséquent de dégager une mesure globale de la performance. Il y a aussi comme le souligne H. Tulkens la difficulté de transposer l'analyse financière traditionnelle à la situation particulière de l'entreprise publique. Enfin, les objectifs d'efficacité technique (capacité de produire un output donné avec le minimum de ressources ou de produire le maximum d'output avec les ressources disponibles) et d'efficacité- coût (capacité de produire un output donné au moindre coût) apparaissent comme fondamentaux. Certains (cf. Gathon et Pestieau) ont même soutenu que "quels que soient les autres objectifs, quelle que soit leur pondération, il n'y a pas de justification à l'inefficacité technique".
II. Pourquoi mesurer la performance des entreprises et services publics et quels en sont les déterminants?Au- delà de l'intérêt scientifique qu'elle présente, la mesure de la performance de l'entreprise ou service public apparaît fondamentale dans la période de privatisation que nous connaissons. Il s'agit en effet de poser un diagnostic clair et objectif quant à la performance pour éviter des procès expéditifs.
Par ailleurs, le fait que l'entreprise ou service public soit moins soumise aux forces du marché, qu'il s'agisse du marché du produit, du travail ou du capital, et qu'il soit investi de missions non commerciales pose en des termes particuliers la question de sa régulation, de son contrôle. La mesure multi- dimensionnelle de la performance, et ses pré- requis (cf. Section b), constituent la base même de la régulation et de la mise en place de mécanismes incitatifs (Cf. Boniver V. et Thiry B.).
La mesure de la performance est aussi un outil de gestion de l'entité publique dont les responsables peuvent dès lors comparer l'évolution dans le temps ou analyser les écarts par rapport à d'autres entreprises.
Les études récentes ne se limitent pas à mesurer et à comparer l'efficacité des entreprises, elles essaient de l'expliquer en tenant compte des diverses contraintes qui pèsent sur l'entreprise et des conditions dans lesquelles l'entreprise doit opérer. Le débat entreprise privée/entreprise publique est un faux problème. La nature des propriétaires de l'entreprise, pouvoirs publics ou actionnaires privés, détermine finalement moins l'efficacité de l'entreprise que les contraintes qui pèsent sur celle- ci et les conditions dans lesquelles s'opère sa gestion: condition de concurrence sur le marché où l'entreprise offre sa production, degré d'autonomie de l'entreprise dans la fixation de ses prix, dans la gestion de ses ressources humaines, dans sa politique d'investissement et de financement, existence de mécanismes incitatifs pour les dirigeants de l'entreprise. En d'autres termes, l'efficacité moindre qui semble caractériser la gestion de certaines entreprises publiques serait essentiellement imputable aux diverses contraintes qui lui sont imposées. Mais évidemment les contraintes que l'Etat impose, c'est- à- dire les restrictions à l'autonomie des gestionnaires, peuvent s'expliquer directement par les divers objectifs allocatifs, redistributifs, financiers et macro-économiques que l'Etat peut poursuivre par l'intermédiaire de ses entreprises.
Enfin, un dernier problème qui peut selon certains expliquer une moindre efficacité des entreprises publiques est le fait que les dirigeants de celles- ci sont moins enclins à réaliser les objectifs des propriétaires, c'est- à- dire les pouvoirs publics, que ne le sont les gestionnaires des entreprises privées.
Pour qu'une divergence puisse apparaître entre le comportement des gestionnaires et les desiderata du propriétaire, il faut évidemment que les gestionnaires et les propriétaires soient des personnes ou institutions différentes. Il faut aussi qu'il y ait une divergence dans les objectifs poursuivis par les uns et les autres et une asymétrie de l'information.
Face à un problème déterminé, les solutions envisagées par les deux parties, en l'occurrence le gestionnaire de l'entreprise publique et les pouvoirs publics, peuvent être différentes, le premier visant avant tout l'intérêt de son entreprise ou dans le pire des cas son intérêt propre, le second visant ce que nous appellerons l'intérêt général.
A cette asymétrie d'objectifs s'ajoute une asymétrie dans l'information, particulièrement aigue dans le cas des entreprises publiques. Les gestionnaires possèdent en effet, vis- à- vis des pouvoirs publics, un avantage en termes d'information sur leur entreprise et l'environnement dans lequel ils opèrent. En outre, les Ministres passent, les gestionnaires restent.
Si le principal (les pouvoirs publics) était parfaitement informé sur la situation de l'entreprise, on pourrait imaginer que le principal soit dans une position lui permettant de contraindre son agent (le gestionnaire) à poursuivre ses objectifs. Nous sommes là au coeur de l'analyse dite "de l'agent et du principal".
L'exposé qui précède peut cependant apparaître bien naïf dans la mesure où dans certains cas c'est l'agent lui- même qui définit l'intérêt général, contraint en cela par le fait que le principal, emporté par les aléas de la vie politique, n'a pas le temps de se forger une idée claire de l'intérêt général. La stabilité plus grande des gestionnaires permet en outre une meilleure prise en compte des perspectives de long terme. La culture "d'entreprise publique", de "service public", "d'entreprise d'intérêt général" est génératrice d'un tel renversement: c'est l'entreprise qui propose et défend sa vision de l'intérêt général et le principal avalise ou modifie ces propositions. Le cas des grandes entreprises publiques françaises, en particulier EDF, est à cet égard révélateur. Les sociétés d'investissement régionales belges en sont peut- être un autre exemple.
Pour limiter ce désavantage en matière d'information, les pouvoirs publics disposent évidemment de divers modes de régulation: nomination de dirigeants proches des personnes ou des partis exerçant le pouvoir politique, gestion directe par le principal de certains dossiers considérés comme "chauds", organisation de divers contrôles a priori et a posteriori,...
Le problème de la divergence des objectifs couplé à l'asymétrie de l'information n'est pas propre aux entreprises publiques. Mais il y est peut être plus aigu du fait de l'efficacité moindre des mécanismes incitatifs traditionnels que l'on observe au niveau des entreprises privées et qui ont pour objet d'inciter l'agent à réaliser les objectifs du principal.
Ainsi, la mobilité des gestionnaires publics est souvent assez faible. Nombre d'entre eux effectuent l'ensemble de leur carrière professionnelle dans la même entreprise. Ils ne semblent guère concernés par le marché des cadres. Ils ont souvent un statut particulier qui leur garantit une stabilité d'emploi plus grande que leurs homologues privés.
Sur le marché des produits, nombre d'entreprises publiques bénéficient d'une position de monopole, ce qui supprime du même coup les différents incitants qui découlent de la concurrence. De plus, le risque de faillite n'existe pas si le déficit éventuel est finalement pris en charge par les pouvoirs publics.
Enfin, l'entreprise publique dispose souvent d'un statut juridique particulier qui supprime toute menace de prise de contrôle externe. Les droits de propriété peuvent en effet être non transférables, sauf en cas de privatisation.
Dans nombre de cas, il ne reste donc que les incitants internes qui pourraient éventuellement intervenir à l'égard des gestionnaires publics. Mais force est de constater qu'en ce domaine aussi, le statut particulier dont jouissent certains dirigeants d'entreprises publiques semble exclure dans une large mesure un système de rémunération- promotion conçu comme un instrument de sanction- récompense lié à la performance du gestionnaire.
Les incitants financiers sont assez rares. Mais ils ne sont pas les seuls à prendre en considération. Les sources de motivation- démotivation ne sont pas uniquement monétaires: le pouvoir, le prestige, les responsabilités, l'autonomie de gestion, l'absence de contrôles tâtillons, ... sont autant de facteurs de motivation. La satisfaction de servir le pays et les honneurs de la fonction peuvent, dans certaines situations, représenter une forme importante d'incitation. Finalement, en l'absence d'un système de sanction- récompense, c'est la personnalité du gestionnaire qui est déterminante.
III. Les résultats des cinq analyses sectoriellesComme nous l'avons dit précédemment, le contenu des cinq analyses sectorielles réalisées est essentiellement centré sur les concepts, d'une part, d'efficacité technique (études des services d'enlèvement des ordures ménagères, des établissements d'enseignement secondaire et des services d'accueil de la petite enfance), d'autre part, d'efficacité-coût (études du secteur de la distribution d'eau et du secteur de la distribution de l'électricité). On trouvera ci- dessous, secteur par secteur, un aperçu synthétique de la teneur de ces études.
III. 1 . Le secteur de la distribution d'eau
Les résultats de nos travaux dans ce secteur sont rassemblés dans deux documents.
Un premier document (EVRARD O., "Le secteur de la distribution de l'eau en Belgique", Université de Liège et CIRIEC, Mai 1993) présente les différentes structures de gestion et d'exploitation existant en Belgique et caractérise succinctement les principales entreprises belges de distribution d'eau en précisant leur importance relative.
La Belgique se caractérise par une grande diversité des formes de gestion et de structure: 2 sociétés régionales, 28 intercommunales, 25 régies, 84 services communaux et 7 concessions, soit 146 (!) organismes distributeurs. Une évolution très importante apparait, marquée par une participation de plus en plus importante du secteur privé, essentiellement en Flandre, via le retour au système de la concession ou la constitution d'intercommunales mixtes et par une "centralisation", surtout en Wallonie, via la reprise des réseaux communaux par la société régionale. C'est donc une image complexe et en pleine évolution que le document présente.
Cette première analyse est complétée par une étude statistique et économétrique des différences de coût dans le secteur de la distribution d'eau en Wallonie et à Bruxelles. Les résultats de cette étude sont consignés dans le document présenté en annexe et intitulé: "Coût dans le secteur de la distribution d'eau en Wallonie et à Bruxelles: estimation d'une fonction de coût hédonique", réalisé par MM. O. Evrard, B. Lejeune et B. Thiry.
L'objet de ce document est triple: identifier les déterminants fondamentaux du coût de distribution de l'eau, détecter la présence d'éventuelles économies de densité et d'échelle, évaluer les coûts relatifs des diverses formes de gestion adoptées.
Cette étude s'appuie sur des données récoltées par nos soins. Elles portent sur la période 1986- 1991 et sur six organismes distributeurs (la SWDE, la CILE, l'IDEML, la Régie de Charleroi, l'AIEBC et l'IBDE). Ces six organismes desservent 80% de la population des Régions wallonne et bruxelloise. La variable dont nous avons essayé de rechercher les déterminants fondamentaux est le coût moyen "courant" de la distribution d'eau (coûts d'exploitation "courants" de la distribution plus coût des débits non enregistrés, divisés par le nombre total de mètres cubes d'eau facturés). Au niveau des déterminants, les principales conclusions que nous avons obtenues sont les suivantes:
- influence non significative du nombre d'abonnés, ce qui jette de sérieux doutes quant aux possibilités de réalisation d'économies d'échelle dans ce secteur;
- possibilités par contre d'économies de densité (une augmentation du nombre d'abonnés par kilomètre de réseau réduit le coût moyen de la distribution);
- le coût moyen de la distribution a tendance à diminuer quand la consommation moyenne par abonné augmente;
- le coût moyen de la distribution a tendance à augmenter en fonction de l'étendue des territoires desservis (zone rurale);
- le prix moyen d'achat des volumes d'eau injectés dans le réseau a également un effet défavorable sur le coût moyen de la distribution;
- le mode de propriété du réseau ne semble pas être un facteur explicatif crédible du coût moyen de la distribution.
En ce qui concerne les coûts relatifs des divers organismes distributeurs considérés, nous observons que, "toutes autres choses étant égales", l'AIEBC, l'IBDE et dans une moindre mesure la CILE, présentent des coûts moyens plus élevés que la SWDE. Traduites en termes de formes institutionnelles, ces disparités suggèrent une moins grande efficience des intercommunales. On se méfiera cependant de toutes interprétations hâtives, et ce d'autant plus que nous n'avons guère d'explications convaincantes à ces observations. Ainsi, il est impossible de déterminer si les coûts élevés que présentent ces intercommunales sont dus aux contraintes particulières qu'imposent l'exploitation de leur réseau, aux pratiques d'enregistrements comptables qui y sont adoptées, aux modalités particulières de fonctionnement impliquées par leur statut d'intercommunale, à la qualité du service rendu ou encore à la "qualité de la gestion" qui y est menée.
Enfin, de façon plus générale, l'ensemble des résultats obtenus suggère que la politique de remembrement des réseaux actuellement en cours devrait être bénéfique pour la collectivité.
III.2. Le secteur de la distribution de l'électricité
Comme pour le secteur de la distribution d'eau, les résultats de nos travaux dans ce secteur sont rassemblés dans deux documents.
Un premier document (EVRARD O., "Le secteur de la distribution d'électricité en Belgique", Université de Liège et CIRIEC, Décembre 1993) présente les différentes structures de gestion et d'exploitation existant en Belgique et caractérise succinctement les principales entreprises belges de distribution d'électricité en précisant l'importance relative des participations du secteur privé et du secteur public.
Contrairement au secteur de l'eau, la "mixité" sous la forme d'intercommunales mixtes domine largement le secteur. Les intercommunales pures ne desservent que 18% de la population belge. Les régies et concessions ont été largement remplacées au cours des années 50 et 60 par des intercommunales. Actuellement, elles ne desservent plus que 2% environ de la population belge. Le nombre de distributeurs est également nettement inférieur à celui observé dans le secteur de l'eau: 1 concession, 9 régies, 9 intercommunales pures et 20 intercommunales mixtes. En outre, l'omniprésence d'Electrabel comme partenaire privé des intercommunales mixtes renforce la cohérence de ce secteur.
Le second document présente une étude statistique et économétrique des coûts dans le secteur de la distribution d'électricité en Wallonie. Les résultats de cette étude sont consignés dans le document présenté en annexe et intitulé: "Coût dans le secteur de la distribution d'électricité: économies d'échelle, économies de densité et formes institutionnelles", réalisé par MM. O. Evrard et B. Lejeune.
L'objectif de cette étude est d'apporter des éléments de réponses à deux questions fondamentales. Premièrement, l'accroissement de la taille moyenne des distributeurs (résultat d'un phénomène de concentration) est- elle de nature à diminuer les coûts moyens du secteur? En d'autres termes, y a- t- il place pour des économies d'échelle dans ce secteur? Deuxièmement, l'efficacité- coût des diverses formes institutionnelles présentes dans le secteur est- elle semblable? En d'autres termes, certaines formes institutionnelles présentent- elles systématiquement des coûts plus limités que les autres?
Accessoirement, nous nous intéressons à une troisième question, à savoir la possibilité d'économies de gamme au sein des organismes distributeurs. A ce niveau, il s'agit de vérifier si la poursuite simultanée de diverses activités (distribution d'électricité et télédistribution, distribution d'électricité et distribution du gaz,...) a un impact favorable.
Ces questions sont traitées au travers de l'estimation d'une fonction de coût hédonique à court terme. Cette estimation est basée sur des données de type panel (période 1988- 1992) recueillies par nos soins auprès des organismes distributeurs wallons. I1 convient de noter que, suite à des problèmes rencontrés lors de la récolte des données, la présente étude porte sur un nombre très réduit d'observations. Les principales conclusions que nous avons obtenues sont les suivantes:
- Il existe des possibilités d'économies d'échelle significatives, bien que d'ampleur modeste;
- Il existe des possibilités d'économies de densité substantielles, c'est- à- dire que nous observons une décroissance du coût moyen de la distribution quand l'output physique mesuré par la quantité d'énergie délivrée augmente, la taille du réseau mesurée par le nombre de clients desservis restant inchangé;
- Il n'y a aucune différence systématique de coût entre, d'une part, les intercommunales mixtes, d'autre part, les intercommunales pures et régies;
- Assez étonnamment, on n'observe pas d'économies de gamme au sein des sociétés poursuivant simultanément plusieurs activités de distribution.
Ces différents résultats suggèrent la conclusion suivante. En termes d'efficacité- coût et pour des raisons essentiellement liées à l'existence plus que probable d'économies d'échelle, la politique de délégation des communes, en particulier dans le cas des petites communes, semble économiquement fondée et donc recommandable. Cependant, sur base de nos résultats, nous ne pouvons indiquer ni la structure institutionnelle ni la taille optimale que devraient adopter les organismes bénéficiaires de cette politique.
Nous attirons évidemment l'attention du lecteur sur le fait que ces résultats statistiques sont directement dépendants non seulement de la méthodologie adoptée, mais aussi et surtout du nombre d'organismes observés particulièrement faible: six en l'occurence.
III.3. Les services d'enlèvement des ordures ménagères
Le service de ramassage des ordures ménagères se prête à une étude de performance qui compare entreprises publiques et privées opérant dans des conditions identiques d'exploitation et d'environnement. L'objectif de notre recherche était double: mesurer la performance de chaque service d'enlèvement d'immondices et tester l'influence du mode de propriété (privée ou publique) et du degré de concurrence du marché sur cette performance.
En Belgique, ce service s'organise de différentes façons: soit la commune effectue ellemême le ramassage, soit elle le confie à une entreprise privée, soit enfin elle s'affilie à une intercommunale qui s'en chargera.
La récolte des données par voie d'enquête auprès des communes, intercommunales et entreprises privées de Wallonie a permis de constituer un échantillon de 176 communes dont 23 assurent directement la collecte, 7 intercommunales et 9 entreprises privées.
Notre propos s'est limité à la seule efficacité productive: deux méthodes non paramétriques - la DEA (Data Envelopment Analysis) et la FDH (Free Disposal Hull) - ont été exploitées afin d'obtenir cette mesure d'efficacité. Il s'agit simplement de construire une frontière de production enveloppant les données on juge ainsi efficace toute observation située sur cette frontière.
Les résultats de notre étude sont consignés dans deux articles. L'un est paru dans les Cahiers économiques de Bruxelles: V. Distexhe, "L'efficacité productive des services d'enlèvement des immondices en Wallonie", ler trimestre 1993, ndeg. 137. On en trouvera une copie en annexe. L'autre, intitulé "Les implications de l'Union européenne sur la performance des services publics locaux", 1994, V. Distexhe, H.J. Gathon, P.Pestieau, est publié dans G. Terny (éditeur), "La gestion des services publics locaux dans l'Europe de demain", GREPUNSPIC, Editions Litec.
Dans notre étude, l'efficacité productive des services d'enlèvement d'immondices en Wallonie est envisagée selon deux points de vue.
Le premier, assez traditionnel, compare l'efficacité des secteurs privés et publics par les méthodes DEA et FDH.
L'échantillon considérant sociétés privées, intercommunales et communes comme entreprises de collecte fournit des données d'inputs (capital et travail) physiques; dans ce cas, les moyennes des degrés d'efficacité obtenus par la méthode DEA concluent en faveur des communes. Par contre, l'introduction du coût des inputs (fourni par les communes) en lieu et place des données physiques donne l'avantage aux entreprises privées. Comment expliquer cette contradiction apparente? En agrégeant les données d'outputs et de coûts pour chaque entreprise de collecte, nous constatons que les entreprises privées conservent l'avantage. L'inefficacité relative des communes pourrait s'expliquer par des rigidités de coût, en particulier de salaires, rendant le privé plus attractif.
La seconde approche souligne l'influence du degré de concurrence sur l'efficacité des services de collecte. La présence d'appels d'offres élargit le nombre de candidats au marché et accroît ainsi la concurrence. L'importance de cette variable apparaît clairement dans les résultats: plus de concurrence entraîne une efficacité plus élevée des communes concernées.
Nous n'avons pu départager les deux facteurs: propriété et concurrence. Il est cependant certain que la combinaison "privé et soumis à la concurrence" conduit à plus d'efficacité que la combinaison "public et abrité de toute concurrence".
La conclusion essentielle qui se dégage de notre étude est donc une relation positive entre l'efficacité de la collecte et, d'une part, le régime de propriété, d'autre part, la nature concurrentielle du contrat passé entre les communes et la firme privée ou intercommunale. Plus précisément, les services privés sont généralement plus efficaces, mais cette supériorité semble due au fait qu'ils aient été choisis suite à un appel d'offre plus qu'au fait qu'ils soient privés.
III.4. Les établissements d'enseignement secondaire
Cette étude poursuit deux objectifs. Dans un premier temps, nous nous efforçons de mesurer l'efficacité productive de chaque établissement scolaire et d'en expliquer les déterminants. Par la suite, nous tentons d'identifier les facteurs explicatifs du retard et de l'échec scolaire.
Considérons tout d'abord les mesures d'efficacité productive et ses déterminants. Ceux- ci peuvent être propres à l'école considérée ou peuvent dépendre de l'environnement dans lequel elle évolue. Si l'on compare les établissements scolaires efficaces et inefficaces, il est utile de dégager quelques lignes de conduite permettant d'assurer un output supérieur sans accroître les volumes d'inputs. En effet, si une école est jugée inefficace, il serait vain de vouloir accroître la quantité d'inputs, mieux vaut pourvoir à une meilleure utilisation des ressources existantes afin d'élever la performance de cet établissement. Par contre, il est souhaitable d'opter pour la stratégie inverse dans le cas d'une école efficace.
Pour des raisons de disponibilité de données, nous avons mis l'accent sur les établissement de l'enseignement secondaire. Chaque école constitue une unité d'observation. Les données recueillies par la "radioscopie de l'enseignement" fournissent un vaste échantillon de 420 observations. Quant aux variables retenues, rappelons qu'elles caractérisent une fonction de production. Les outputs, représentés par le nombre d'élèves dans chaque type d'enseignement (général, technique, professionnel) et l'organisation d'activités extra- scolaires sont expliqués par deux inputs à savoir le personnel enseignant et le nombre de locaux. Par activités extra- scolaires, nous entendons la participation de l'école à des activités culturelles, sportives, lucratives, mais aussi l'organisation de services tels que dîner complet, dîner tartines, étude dirigée, activités du mercredi après- midi,...
Nous avons estimé deux frontières de type non paramétrique (DEA). La première considère seulement l'effectif de l'école. La seconde tient également compte de l'organisation d'activités extra- scolaires. Les résultats font apparaître des inefficacités importantes dans l'utilisation des ressources humaines disponibles. Elles sont partiellement expliquées par d'une part des effets d'échelle, et d'autre part, par l'environnement géographique, social et institutionnel dans lequel les écoles évoluent.
Le second axe de cette recherche s'intéresse aux facteurs déterminant le retard et l'échec scolaire. Une analyse économétrique reprend environ 200 établissements d'enseignement secondaire pour lesquels nous disposons d'informations relatives à leurs élèves, leurs professeurs et quelques caractéristiques de leur organisation.
D'une part, nous avons introduit le retard et l'échec scolaire comme variables dépendantes de deux modèles de régression distincts. Ensuite, elles sont intégrées dans un modèle simultané. Plusieurs facteurs peuvent être invoqués pour expliquer les difficultés scolaires: l'environnement social et géographique, l'origine des élèves, l'insécurité dans l'école, l'absentéisme et l'ancienneté des professeurs, le nombre d'élèves par professeur.
III.5. Les services d'accueil de la petite enfance
L'accueil de la petite enfance est effectué en Communauté Française de Belgique selon différentes modalités. Nous nous sommes concentrés sur une comparaison entre des services similaires par leur organisation, à savoir les crèches, les prégardiennats, les maisons communales d'accueil de l'enfant et les garderies. A l'exception de ces dernières dont les revenus proviennent presque uniquement de l'activité commerciale, toutes ces institutions sont subventionnées par l'Office de la Naissance et de l'Enfance.
Les données ont été obtenues par une enquête adressée à l'ensemble des centres d'accueil de la Communauté française. Plus de 200 questionnaires furent envoyés en mai 1992 (149 sont revenus complétés). Les questions concernaient divers aspects de la garde.
Une première partie du questionnaire visait à obtenir des données sur les enfants gardés: le nombre d'enfants inscrits en 1991, en 1992 et lors de la réception du questionnaire, cela ventilé selon l'âge et la durée hebdomadaire de la garde.
Ensuite, il y avait des questions sur le personnel (le nombre de puéricultrices, d'assistantes sociales, d'infirmières..., le personnel administratif et d'entretien, ventilé selon la durée de travail hebdomadaire) et sur le nombre de locaux utilisés.
Finalement, plusieurs questions touchaient à l'horaire du service (le retard autorisé, les heures et les jours d'ouverture), aux facilités diverses offertes aux parents (fourniture de repas, de langes,...), à la stabilité de l'encadrement de l'enfant (puéricultrices référentes, nombre de visages vus par l'enfant en une semaine), aux risques dans le milieu d'accueil (nombre d'accidents par an) et à l'encadrement éventuel des gardiennes.
Afin de procéder à une étude de performance basée sur la technique des frontières d'efficacité (DEA non paramétrique), nous avons retenu trois inputs et deux types d'outputs, des outputs quantitatifs (le nombre d'enfants âgés de 6 semaines à 18 mois et le nombre d'enfants âgés de 18 mois à 3 ans inscrits durant 1'année 1991) et trois indicateurs de qualité. Ces derniers ont été construits par simple sommation de variables touchant à trois dimensions: la continuité de l'accueil, la communication avec les parents et la diversité des services fournis. L'indicateur de continuité représente l'attention apportée au bien- être, au calme et à la stabilité des enfants. L'indicateur de communication mesure les moyens rnis en oeuvre par l'institution afin de faciliter la communication avec les parents. L'indicateur de diversification, quant à lui, tente de résumer la diversité et la multitude des services offerts à côté de la garde en elle-même.
Les trois inputs sont le nombre de puéricultrices, le personnel qualifié (y compris le personnel administratif) et le personnel technique.
Nous avons appliqué à ces variables la technique DEA, laquelle permet de construire un ensemble de production multi- input multi- output et de prendre ainsi en compte la complexité du processus de production. Pour chaque centre d'accueil un score qui mesure l'efficacité avec laquelle celui- ci fournit son service a été obtenu. Dans une seconde étape, nous avons essayé d'expliquer ces scores à l'aide des caractéristiques du centre.
Les résultats de notre analyse, montrent ainsi des différences très significatives entre les réseaux qui s'occupent de l'accueil de la petite enfance. Selon notre critère, il apparaît que le secteur lucratif s'avère nettement plus efficace que le secteur non lucratif (public ou privé). A l'intérieur de ce dernier, aucune différence notable d'efficacité n'a pu être observée entre les ASBL et les centres communaux. Nous avons aussi constaté des différences de performance importantes selon les modes de garde. Ainsi, par exemple, la crèche est le service qui, en moyenne, est le moins efficace.
Publication:Performance des entreprises et services publics.
Prof. dr. B. THIRY, ULg, 1994épuisé