Violence coloniale, agencéité subalterne et patrimoine archivistique partagé : une plateforme digitale de sources judiciaires coloniales (DIGICOLJUST)

Personnes :

• Dr.  TAILLER Pierre-Alain - Archives de l'Etat (AE)
  Partenaire financé belge
  Durée: 15/12/2019-15/3/2022
  
• Dr.  LAGROU Pieter - Université Libre de Bruxelles (ULB)
  Partenaire financé belge
  Durée: 15/12/2019-15/3/2022
  
• Mme  LAURO Amandine - Université Libre de Bruxelles (ULB)
  Partenaire financé belge
  Durée: 15/12/2019-15/3/2022
  
• Dhr.  HENRIET Benoit - Vrije Universiteit Brussel (VUB)
  Partenaire financé belge
  Durée: 15/12/2019-15/3/2022
  

Description :

DIGICOLJUST se situe au carrefour d'objectifs sociétaux et scientifiques. D'une part, le passé colonial de la Belgique a récemment fait l'objet d'un regain d'intérêt spectaculaire. La réouverture de l'AfricaMuseum à Tervuren a coïncidé avec un rapport de l'ONU conseillant aux autorités belges de s'excuser pour le passé colonial du pays. Les excuses officielles du Premier ministre pour le traitement des enfants métis nés en "Afrique belge" et arrachés à leur mère ont également contribué à la controverse publique. Aussi nécessaires soient-ils, ces débats tendus opposent trop souvent de supposées visions "belges" et "congolaises" du passé colonial ; ils mettent également en évidence la nécessité d'approfondir les connaissances historiques sur la colonisation de l'Afrique centrale. D'autre part, la recherche sur l'histoire du Congo belge s'est heurtée à deux obstacles majeurs. Premièrement, l'héritage écrit de l'administration coloniale belge est conservé à Bruxelles, et demeure difficile d'accès pour les chercheurs venant du Sud. Deuxièmement, peu de recherches ont été menées sur les expériences congolaises de la colonisation, souvent en raison du manque de sources disponibles. Bien que les approches "par le bas" gagnent du terrain dans l'historiographie internationale des empires, l'histoire du colonialisme belge a surtout été écrite du point de vue des agents et des institutions coloniaux.

Ce projet offre une triple réponse à ces constats. Il vise tout d'abord à rendre une partie importante des archives coloniales belges librement et facilement accessible à la communauté universitaire par le biais d'une campagne de numérisation. Deuxièmement, il ambitionne de valoriser ces archives, par le biais de séminaires de recherche pour les étudiants, de publications scientifiques et d'un projet de recherche commun entre universitaires belges et congolais. Troisièmement, en numérisant des archives inexplorées documentant les expériences congolaises de manière inédite, il a pour vocation de développer notre connaissance des expériences de la domination coloniale.

Les archives des procès des cours martiales de l'État Indépendant du Congo (1885-1908) et du Congo belge (1908-1960) constituent un patrimoine unique à cet égard. Soldats congolais et officiers belges ont été jugés par des tribunaux militaires pour des violations du droit militaire et civil. Ces dossiers de procès, dont plus de 5400 ont été conservés, revêtent une importance fondamentale à trois égards. Tout d'abord, ils contiennent d'innombrables cas d'insubordination, de vol, de désertion, de toxicomanie ou de violence sexuelle, jetant une lumière crue sur les troubles quotidiens qui agitaient les forces armées congolaises. Deuxièmement, ces tribunaux ayant été actifs en temps de paix comme en temps de guerre, leurs dossiers apportent un éclairage crucial sur les différentes formes de gouvernance militaire. Troisièmement, en cas de troubles, des régions entières pouvaient être placées sous "régime militaire". Les tribunaux civils étaient alors remplacés par des tribunaux militaires, dans lesquels les procédures d'appel étaient limitées. Les cours martiales avaient donc aussi pour vocation de sanctionner les Congolais qui se rebellaient contre l'État; leurs archives offrent ainsi un aperçu exceptionnel de l'histoire des résistances contre le régime colonial. Ce projet se veut donc une contribution utile et originale à la fois pour l'histoire de la violence coloniale et pour l'histoire de l'agency des colonisés en Afrique centrale. Il apportera de nouveaux éclairages sur les interactions (et les intersections) entre les outils de l'hégémonie coloniale et les stratégies africaines d'adaptation, contribuant ainsi à trois sous-domaines au cœur des débats historiographiques internationaux sur les empires (qui présentent un intérêt particulier pour la colonie du Congo): l'histoire de la violence coloniale, l'histoire des paroles et des actions des colonisés et de leurs modes d'expression dans les tribunaux coloniaux, et l'histoire des forces de sécurité et des politiques d'ordre coloniales.

Faisant partie de l'ensemble plus vaste des archives coloniales actuellement en cours de transfert du ministère des Affaires étrangères vers les Archives Générales du Royaume, ces enquêtes et procès constituent un patrimoine partagé par la Belgique et ses anciennes colonies. DIGICOLJUST vise à offrir des outils numériques concrets et durables pour un accès partagé, en inventoriant, numérisant, stockant et publiant en ligne des collections intégrales, dans une logique de projets pilotes, afin de permettre aux utilisateurs de la collection de saisir la pleine cohérence et étendue de l'archive. Conçu comme un projet pilote dans le développement de bonnes pratiques et d'une dynamique commune de préservation et d'exploitation des collections "coloniales" des Archives Générales du Royaume, DIGICOLJUST produira un inventaire et un guide pratique des ressources archivistiques liées aux activités des tribunaux militaires (documentant ainsi la "culture de la négligence" (Hiribarren 2017) dont cette collection a jusqu'ici fait l'objet et identifiant les documents connexes actuellement éclatés dans d'autres fonds d'archives) ; numérisera une partie importante de la collection pour assurer sa préservation et son accessibilité par l'internet, dans le monde entier ; développera des outils de recherche pour permettre un accès facilité aux documents par des utilisateurs aux backgrounds disciplinaires, intérêts de recherche et traditions universitaires nationales différents ; et stimulera la recherche sur ces question s au niveau national et international.

Documentation :