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e-Science Connection Christine Bingen

Christine a étudié la physique à l’Université Libre de Bruxelles, avant de passer à la Vrije Universiteit Brussel où elle a effectué un doctorat dans le domaine de l’optoélectronique. Elle travaille actuellement à l’Institut royal d’Aéronomie Spatiale de Belgique (IASB).

e-S.C. Peux-tu nous dire en quoi consiste l’aéronomie ?

L’aéronomie désigne l’étude des atmosphères. J’utilise ici le pluriel car nous étudions bien sûr l’atmosphère terrestre, mais aussi les atmosphères d’autres planètes comme Mars ou Vénus, voire même des cas plus exotiques, comme les émanations de comètes. Je pense à la comète Tchourioumov-Guérassimenko dont les émissions gazeuses ont été étudiées par un instrument développé à notre Institut.
Personnellement, j’utilise des données satellites pour étudier, en particulier, les aérosols dans l’atmosphère moyenne (la stratosphère). Il s’agit de toutes les petites particules liquides ou solides en suspension dans l’air. A ces altitudes dépassant les 15 km, la principale source d’aérosols peut étonner: il s’agit des volcans ! En effet, la stratosphère est une couche extrêmement stable et difficile à pénétrer. Il faut pour cela des phénomènes violents, comme les mouvements de convection de grande ampleur au niveau des tropiques, ou bien de grosses éruptions volcaniques de type explosif.

e-S.C. Comment en es-tu arrivée à travailler dans ce domaine, toi qui venais de l’optoélectronique ?

Après ma thèse, deux voies m’attiraient: l’enseignement supérieur, ou bien la recherche dans une voie où je sentirais que je pouvais contribuer à un monde meilleur, ce qui pour moi, évoquait en particulier les aspects environnementaux ou climatiques. Les aérosols, qui sont intimement liés aux problèmes de pollution dans la basse atmosphère et aux aspects climatiques dans la stratosphère, m’ont permis de réaliser cet idéal.

e-S.C. Tes aspirations environnementales se retrouvent-elles aussi dans ta vie personnelle ?

Bien sûr ! Je suis fan de mobilité douce et je suis cycliste au quotidien depuis longtemps. Je suis très attentive à mon empreinte écologique, et je m’engage dans la protection de la nature. J’ai un jardin 100% nature, et je m’intéresse beaucoup à l’ornithologie.

e-S.C. Tout cela ne doit pas te laisser beaucoup de temps pour t’occuper d’une famille ?

Et pourtant, j’ai eu le bonheur d’avoir quatre enfants !

e-S.C. Quatre enfants ! Comment as-tu concilié une vie professionnelle exigente avec une vie famille certainement très chargée ?

J’ai la chance de pouvoir compter sur un compagnon avec lequel je peux partager les tâches domestiques et parentales de manière fort équilibrée. Certes, il faut une excellente organisation, et nous avons eu peu de temps pour nous quand les enfants étaient petits. Mais cela a rendu notre vie très riche. Quand je voyageais pour mon travail, Papa prenait pleinement son rôle, et les enfants ont ainsi eu la chance d’avoir un papa très présent et attentif ! Nous nous sommes énormément investi dans leurs activités et cela nous a permis d’apprendre et de réaliser un tas de choses extraodinaires!

e-S.C. N’est-ce pas un inconvénient pour la carrière, d’avoir à mener de front une vie familiale chargée avec une carrière scientifique ?

Il y a en effet des aspects compliqués comme le fait de devoir publier suffisamment d’articles scientifiques pour pouvoir obtenir des projets de recherche, ce qui pénalise les femmes à cause de la charge des enfants. Aujourd’hui, les sources de financement tiennent plus compte de ces aspects, mais les statistiques montrent que les femmes restent désavantagées par rapport à leurs collègues masculins. L’importance donnée aux séjours à l’étranger est également très défavorable aux femmes: combien d’hommes sont-ils prêts à tout laisser tomber pour suivre leur conjointes souhaitant mener leur recherche à l’étranger ? Je constate, y compris chez les jeunes, que ces contraintes mênent à des situations familiales très compliquées ne favorisant en rien le cadre stable et propice à la créativité dont la science a besoin. Peut-être devrait-on penser à remettre ce modèle en question.

e-S.C. Cela rend-il le monde de la recherche hostile aux femmes ?

Il règne encore beaucoup de biais de genres dans la recherche, en particulier dans les domaines des “sciences dures” où l’engagement de femmes dans la recherche reste largement inférieur à celui de hommes. Et les discriminations de genres sont nombreuses, par exemple dans les promotions et les nominations. Dans un institut comme le nôtre, les femmes ne représentent que 26% des chercheur·euse·s, et à peine plus de 10% des fonctions IT. Et cet institut est loin d’être le plus mauvais élève !
Pourtant, cela ne devrait pas être le cas. Une femme qui doit mener de front une carrière exigente et la gestion d’un ménage joue un vrai rôle de manager, devant gérer de multiples tâches, souvent en parallèle, organiser les journées de toute la famille, gérer les conflits – avec le sourire ! – et veiller à ce que tout roule pour tout le monde. Bref, elle est une vraie cheffe d’entreprise, et cela se sent aussi dans le milieu professionnel. Il s’agit de compétences qui devraient être bien plus reconnues, utilisées et valorisées !

e-S.C. Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton travail ?

La variété des choses à faire, mais aussi l’importance de ce travail pour les gens ! A côté de mes recherches qui m’offrent des questions scientifiques intéressantes, j’accorde beaucoup d’importance à partager avec d’autres mes connaissances et ma passion pour les sciences. Mon domaine touchant aux aspects climatiques m’oblige à réfléchir au message que je veux, en tant que scientifique, passer au public, et en particulier aux jeunes qui devront relever les défis et sont souvent anxieux, à raison ! Ma Maman m’a transmis la passion de l’enseignement; j’adore accueillir des étudiant·e·s ou aller parler de climat dans les classes.

e-S.C. Quel message voudrais-tu porter, en tant que scientifique, que femme, et que mère ?

Je voudrais inviter chacun à embrasser le futur et à se projeter dans l’avenir, dans ces temps où on aura vaincu la peur, fait le deuil du passé et de son confort illusoire, où on aura pris le problème climatique à bras-le-corps et mis en oeuvre les solutions dont beaucoup existent déjà et ne demandent qu’à être développées. Que filles et garçons, femmes et hommes, joignent leurs efforts pour le créer est très important: il est prouvé scientifiquement qu’un bon équilibre de genre au sein d’une équipe ou d’une entreprise dope la créativité, l’inventivité, le dynamisme. Plus généralement, la diversité est la clé pour ouvrir les esprits et trouver des solutions innovantes, adaptées à la complexité du monde. C’est elle qui nous aidera à construire ce brillant avenir. Ce futur où l’air sera pur, où nous vivrons plus près de la nature et mangerons plus sainement, où nos besoins seront satisfaits avec des resources locales et où l’économie circulaire nous mettra bien mieux à l’abri des dépendances mondiales, il n’attend que nous, ce sera le “bon nouveau temps”, et nous regretterons très peu de choses de l’ancien!
Rêver ce futur joyeux, ce n’est ni être naïf ni encore moins se voiler la face. C’est, au contraire, refuser la peur qui tétanise, et c’est s’offrir l’enthousiasme, l’énergie, les moyens et l’ambition d’aller résolument vers la solution.


1. Christine en pleine explication lors des journées portes ouvertes de l’IASB: le partage de l’émerveillement
2. Envisat, un satellite européen qui a sondé l’atmosphère de 2002 à 2012, et fournit des données essentielles à la recherche environnementale © ESA

Légendes
1. Christine en pleine explication lors des journées portes ouvertes de l’IASB: le partage de l’émerveillement
2. Envisat, un satellite européen qui a sondé l’atmosphère de 2002 à 2012, et fournit des données essentielles à la recherche environnementale © ESA