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e-Science Connection Marie Cornaz

Marie Cornaz © Thierry Pinchart

Marie Cornaz est docteure en musicologie (ULB) et conservatrice de la section de la Musique de la Bibliothèque royale de Belgique (KBR).

e-S.C. Comment es-tu devenue musicologue ?

À 18 ans, j’ai choisi d’étudier la musicologie avec l’envie d’approfondir mes connaissances musicales, d’aller au-delà de ce que j’écoutais dans le cénacle familial, en concert, à la radio ou au disque, de ce que j’apprenais à jouer au piano dans mes temps libres. Je voulais faire de ma passion mon métier, et j’ai réussi !

e-S.C. Tu as déjà effectué de nombreux retours aux sources…

Après ma licence en musicologie, j’ai travaillé au Musée des Instruments de Musique (MIM) de Bruxelles en tant que guide, tout en réalisant des recherches pour le luthier bruxellois Jan Strick. J’ai ensuite décroché un poste de chercheuse dans mon université, dans le cadre du Répertoire international des sources musicales, projet visant à la description de partitions musicales conservées en Belgique, qui associait l’Université libre de Bruxelles, la Katholieke Universiteit Leuven et la Bibliothèque royale de Belgique. Durant ces premières années professionnelles, le goût pour la recherche s’est imposé à moi, que cela soit en étudiant les trésors musicaux de la bibliothèque du Conservatoire royal de Bruxelles ou en découvrant de nouvelles sources musicales, à l’abbaye de Maredsous notamment. J’ai consacré mon doctorat à l’édition et la diffusion de la musique à Bruxelles au 18ème siècle et j’ai ensuite obtenu un mandat de chargée de recherches au FNRS au cours duquel j’ai eu l’opportunité d’exhumer des partitions inédites conservées dans les archives du château de Chimay. J’ai ensuite intégré le service Publications du Palais des Beaux-Arts (Bozar) avant d’être engagée à la Katholieke Universiteit Leuven pour le projet « Vlaams muzikaal erfgoed ». À la fin de ce contrat, j’ai rejoint une nouvelle fois le Musée des Instruments de Musique (MIM) pour prendre part à un projet de recherche dédié aux instruments de musique de l’Orfeo de Claudio Monteverdi.
En 2006, j’ai eu la chance de rejoindre la KBR et d’y intégrer la section de la Musique en tant que conservatrice, fonction que j’occupe toujours aujourd’hui. J’y suis comme un poisson dans l’eau puisque j’ai le privilège de pouvoir y développer une musicologie au service de la musique.

e-S.C. La musicologie est clairement ta passion depuis toujours, mais une passion, ça s’entretient ?

En tant que gardienne d’un riche patrimoine musical, c’est passionnant de pouvoir étudier au plus près les collections qui ont été rassemblées au cours des décennies par mes prédécesseurs, de les enrichir par de nouvelles acquisitions, de les conserver au mieux mais aussi de les faire vivre ou revivre, par des publications, des conférences, des expositions ainsi que grâce à la musique vivante. Quelle satisfaction en effet lorsqu’une partition s’anime, prend vie, grâce à des interprètes, entre autres lors des concerts de midi « Trésors musicaux » à KBR !
À plusieurs reprises, mon métier m’a permis de construire de belles collaborations avec des artistes, des collectionneurs, des mélomanes, des institutions ou des associations, pour réveiller des partitions endormies, que cela soit d’Antonio Vivaldi dans les archives d’Arenberg, de Louisa de Mercy-Argenteau à Chimay, ou de Joseph Haydn, Henry Vieuxtemps, César Franck, Mathieu Crickboom, Eugène Ysaÿe et bien d’autres encore à la KBR.

e-S.C. Quel est le projet musical qui t’a le plus motivée récemment ?

Le dernier projet en date : la création européenne de l’Ouverture sur des thèmes d’Atala d’Eugène Ysaÿe le 15 février 2024 à Bozar par le Belgian National Orchestra dirigé par Jac van Steen et le chœur de jeunes de l’Institut Supérieur de Musique et de Pédagogie (IMEP) de Namur.
Au départ d’une recherche consacrée au pianiste et compositeur Théo Ysaÿe (1865-1918), dont KBR conserve certains manuscrits, j’ai retrouvé début 2023 cette partition inconnue, avec l’aide de Sophie Matkava, archiviste de Bozar, et de Christian Demoustiez, bibliothécaire du Belgian National Orchestra.
Afin de pouvoir l’étudier, la numériser et la valoriser dans les meilleures conditions, Bozar l’a déposée en avril 2023 à la KBR, avec le double objectif de la transcrire et de la faire jouer. Si elle a reçu la visite du chef d’orchestre néerlandais Jac van Steen, qui tenait à la voir de ses propres yeux, la partition a aussi suscité l’intérêt de la communauté musicale et musicologique, en Belgique, aux États-Unis et même au Japon, dans le cadre d’une conférence que j’ai eu l’honneur de donner à Tokyo.
Après tout ce cheminement, quel bonheur de pouvoir enfin écouter dans la salle Henry Le Bœuf de Bozar cette œuvre magnifique pour grand orchestre et chœur, d’être parmi les auditeurs témoins de la renaissance d’une composition oubliée, près de cent ans après sa première et unique exécution aux États-Unis, le 6 mai 1920, lorsque le compositeur dirigeait le Cincinnati Symphony Orchestra !

e-S.C. Quel est ton souhait le plus cher pour ton domaine d’activités ?

Mon plus cher souhait : que la musicologie garde sa place dans nos institutions fédérales, qu’elle puisse continuer à y aiguiser ses sens, afin qu’elle reste actrice d’un monde culturel ouvert, curieux, libre et créatif qui ne se laisse pas guider par le consumérisme.


1. Marie Cornaz © Thierry Pinchart
2. Eugène Ysaÿe, Ouverture sur des thèmes d’Atala, page 66 (KBR, Bozar IV/2 C Mus., Fonds PBA-PSK-Bozar)
3. Salle de concert de la KBR © Marie Cornaz

Légendes
1. Marie Cornaz © Thierry Pinchart
2. Eugène Ysaÿe, Ouverture sur des thèmes d’Atala, page 66 (KBR, Bozar IV/2 C Mus., Fonds PBA-PSK-Bozar)
3. Salle de concert de la KBR © Marie Cornaz